Égyptologue, c’est ce qui t’as tenu le plus longtemps, et encore aujourd’hui, au fond, quelque part, c’est le plus persistant de tous tes rêves. Etudier cette civilisation passionnante, connaître sur le bout des doigts les histoires de leurs Dieux et tout savoir de ces dynasties construites par ces hommes qu’on pensait divins. À 12 ans ton médecin a tout cassé, scoliose et un problème à la dernière lombaire, « elle ne pourra pas faire de métier très physique où il faut, par exemple, se baisser souvent, resté courbée aussi », comme s’il avait su ce que tu rêvais de faire. L’archéologie, s’en était finit.
T’aimais chanter et danser, t’aimais jouer la comédie dans les scènes que tu t’inventais, t’aimais inventer des histoires et plus tard les écrire, t’aimais t’imaginer gérante d’un hôtel, rencontrer de nouvelles personnes tout le temps, t’aimais croire que t’allais faire de grandes choses. T’as 23 ans maintenant et tu crois plus en rien, t’as rien fait de ta vie et tu vois plus personne.
Demain tu feras un pas vers cette parcelle d’avenir et si t’es là à écrire à 4h du matin, c’est que tu crève de trouille. T’as envie que Ju t’appelle demain, que tu puisses lui demander de t’accompagner, mais il ne le fera sûrement pas. Il ne viendrait pas avec toi, « t’es une grande fille, faut faire ça toute seule », c’est un peu ce qu’il t’a déjà sorti, à croire qu’il a oublié comment tu fonctionnes. Mais il ne le fera sûrement pas, il ne t’appellera pas, tu sais même pas trop pourquoi, Orphée bosse, elle est pas là une bonne partie de l’après-midi, il est seul mais ne pense pas à t’appeler. C’est même pas parce qu’il est avec Orphée qu’il t’oublie, c’est juste… qu’il t’oublie tout court. Et toi t’as ravalé ta fierté samedi et tu t’es pris un méga vent. Mardi, et il a toujours pas trouvé utile de répondre à tous ces appels que t’as passé. T’aurais pu crier à l’aide et mourir, si ça dépendait de lui on aurait même pas encore remarqué ta disparition. Et toi à côté, tu t’en veux de toutes ces crises que tu fais contre lui, t’as l’impression qu’il les ressent et que son silence n’est que juste punition à ton attitude de gamine. Tu lui en veux mais t’as surtout trop honte, c’est pour ça que tu l’appelles pas. T’as honte et tu lui as donné les clés, le seul problème c’est que tu crois qu’il est parti en fermant la porte à double tour avant d’égarer la clé… Comme y’a deux ans.
Ton avenir et Ju, c’est ce qui te trotte dans la tête en ce moment, mais quand t’y penses pas, ces rares moments là, ça va. C’est le paradis, un jour tu prends des photos, le soir tu les retouches un peu et tu les balances sur la toile, et le jour suivant tu dessines ce que tu peux pas photographier. Pas de stresse, c’est les vacances, maman a les siennes alors elle oublie que t’as encore rien trouvé pour la rentrée. Pas de regards, de silences méprisants, pas de questions incessantes qui n’ont pas du tout ou pas les bonnes réponses, pas de honte à profiter de n’avoir rien à faire, pas de sommeil à respecter à même pas 22h, pas d’engueulades, de mots désagréables, pas d’impression qu’on a même plus envie que vous habitiez là.
Le seul problème, c’est que le paternel rentre d’Espagne jeudi.
Tu penses à faire un dessin de toi, l’enfant confrontée à cette post-adolescente toujours pas adulte que tu penses être. D’un côté, tous tes rêves d’enfance : un masque égyptien, un micro, une scène, des décors, une grande maison pour ta mère, un atelier de couture, un studio immense à partager avec toutes tes copines et ton âme sœur à côté de toi. Mais tu sais pas quoi dessiner de l’autre côté… Un appareil photo, des costumes anciens que t’aimerais savoir faire, mais un peu derrière toi, parce que même si c’est tout ce qui te reste de tes rêves d’enfant, tu sais toujours pas si c’est ce que tu veux faire de ta vie.
[Ecrit hier soir, depuis... Rien n'a changé, Ju n'a pas appelé et ma parcelle d'avenir n'a pas grandie.]
Parole de Poète Disparu