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[III]
Ses mains

Elle était derrière moi, face au miroir. Je ne voyais de son corps que ses hanches, ses jambes qui caressaient les miennes, une qui s'enroulait autour d'une des miennes quelque fois, je ne voyais que sa chevelure claire, une de ses épaules fines et ses mains. Oui ses mains. Il avait beau y avoir tout ça autour, je ne voyais que ses mains. Une se perdait autour de ma taille, s'agrippait, me retenait, me pressait contre elle. Toujours un peu plus fort, toujours en me caressant, remontant sur mon ventre, s'arrêtant à la naissance de mes seins. Timide, mais fougueux juste quelque seconde. L'autre sur mon cou, tantôt occupée à caresser ma nuque, tantôt séparant mes cheveux de mon épaule. Timide elle aussi, plus timide que l'autre, osant à peine attraper mon visage sous mon menton pour le soulever et laisser ses lèvres profiter de mon cou. Mes mains se mirent à caresser ses hanches mais elle me murmura qu'il ne fallait pas, elle voulait que je la laisse faire, que je sois sa poupée. Un sursaut de plaisir me traversa tout entière et pris place dans son corps, elle se révélait enfin, ses gestes se firent tous fougueux de douceur, elle me prit et moi je ne voyais que ses mains.

Elle s'appelait Helena, je ne la connaissais que très peu. Des amies à moi nous avaient présentés, comme elles le faisaient souvent, elles aimaient que le groupe grandisse toujours, mais elles savaient toutes qu'au bout du compte nous restions toujours entre nous, que le groupe ne s'était agrandi que d'une ou deux personnes depuis des années. Une d'entre elles nous avait emmené Helena, une de ses ex avec qui elle était restée en bon terme. Je l'avais trouvé jolie, et sitôt fut-elle assise, j'avais presque oublié sa beauté jusqu'à son prénom. Oui, elle était jolie, mais d'une beauté banale, de celle qu'on remarque et qu'on oublie aussitôt. Elle avait les cheveux châtains clairs, elle était presque blonde, elle était légèrement décoiffée, elle était mince, un peu trop même, elle avait de petits seins et portait un haut noir. Voilà tout ce que je savais d'elle, je n'en pas appris plus dans la soirée car je ne l'écoutai pas, je ne la regardai pas. Presque aussitôt qu'elle fut assise, mes yeux se fixèrent sur un seul élément de son anatomie et mes pensées ne s'envolèrent que dans cette direction. Je ne savais pas à quoi ressemblait ce qu'elle portait, je ne savais pas la couleur de ses yeux, je ne savais pas si elle portait des bijoux ou des piercing, je ne savais pas son âge, ni sa profession, je ne savais pas son nom de famille, pas là où elle vivait, je n'avais rien écouté de ce qu'elle avait dit, je ne savais pas ce qu'elle pensait alors que j'avais vaguement entendu plusieurs "je" de sa bouche. Je ne me souviens même plus de sa voix. Mais je savais qu'elle ne portait pas de bagues, ni de bracelets, je savais qu'elle avait la peau blanche, les doigts fins, biscornus, les ongles courts, qu'elle avait enlevé son vernis il y avait peu de temps car un peu de nacre était resté sur les côtés de ses ongles. Je savais aussi qu'elle fumait, avant même qu'elle n'alluma sa première cigarette. Je ne savais pas pourquoi, mais je l'avais senti, ces mains là devaient avoir leur prolongement dans une cigarette. Elle n'avait pas de belles mains pour une femme, ses veines ressortaient, elle semblait avoir la peau rugueuse, desséchée, elle avait une cicatrice au-dessus de son pouce gauche et sans doute devait-elle avoir les paumes jaunies par la cigarette. Mais de toute la soirée, je n'avais pu détacher mes yeux de ses mains.
Quand elle alluma sa première cigarette, je fus prise d'une plus profonde admiration. Elle fit un geste totalement anodin qui acheva mes pensées : elle tenait sa cigarette dans ma main droite, entre son index et son majeur, elle passa son bras autour des épaules de mon amie à sa droite et se mit à lui caresser les cheveux, à prendre quelque mèche entre son annulaire et son pouce et à les entortiller autour de son annulaire. Plus tard elle attrapa une feuille pareillement, entre son annulaire et son pouce. Je ne me l'expliquai pas, mais je trouvai ce geste élégant et très beau. Dès lors je ne pus plus réfléchir.

Ce miroir était au bon endroit, ou peut-être était-ce nous qui avions choisi le bon endroit. Je n'avais jamais pris de plaisir à me regarder faire l'amour avec quelqu'un, ce n'était d'ailleurs pas moi que je regardais, ni le peu de son corps que je pouvais voir derrière moi. Je ne quittais pas ses mains des yeux.
Sa main qui s'occupait de mon cou glissa sur mon épaule et l'autre remontait sur mon ventre, l'une attendait l'autre pour que toutes les deux arrivent au même point en même temps. Elle saisit mes seins d'un geste brusque qui me fit gémir et ma tête bascula en arrière. Je fermai les yeux pour ne plus ressentir que ses mains sur mes seins. Dans une symétrie parfaite elles malaxaient mes seins, elles revenaient en dessous, remontaient plus doucement, elles passaient un doigt tout autour, caressaient lentement, titillaient juste un peu. Ma tête se releva et mes yeux s'ouvrirent, je ne voulais plus les perdre de vue. Si ça avait sa langue, elle aurait été plus douce, elle se serait sûrement plus attardée sur le tour de mes seins, elle aurait sans doute plus joué avec mes tétons durcis. Mais, même si elles étaient un peu rudes quelque fois, je ne voulais pas autre chose que ses mains sur moi, il n'y avait qu'elles pour me faire à ce point suffoqué, elle avait sa manière bien particulière de caresser et c'était bien ce que j'aimais chez elle.
Sa main gauche se détacha de mon sein et parti à la recherche de toutes les zones sensibles de mon corps. Elle glissa doucement sur côtes jusqu'à mes hanches, entama la ligne qui mène jusqu'à mon intimité et remonta rapidement, me laissant là en un plaisir frustré qui la fit rire. Son autre main se détacha de mon sein et elles entreprirent toutes les deux un ballet symétrique sur mon corps. Tantôt elles caressaient doucement mon ventre, mes côtes, tantôt elles agrippaient férocement mes seins, mes hanches pour les presser contre elle. Puis elle stoppa tout, comme trois points de suspension pour calmer l'ardeur et la remplacer par la douceur. Sa main glissa encore une fois sur mes côtes, atteignit mes hanches mais ne s'arrêta pas cette fois. Elle interrompait chacun de ses mouvements pour que j'en frissonne un peu plus. Ses doigts se frayèrent un chemin dans la partie la plus sensible de mon corps. Elle glissa un doigt, resta une seconde pour m'entendre gémir, remonta, glissa encore son doigt, plus doucement, plus profondément, je gémis plus encore. Je la sentais sourire dans mon dos, elle la tenait du bout des doigts sa poupée articulée. Elle me tortura ainsi pendant je ne sais combien de temps, il s'était comme arrêté, je ne le sentais plus couler, une heure ou quelque seconde, sa main sur moi était le seul élément réel que je percevais, le seul qui puisse être si bon, si voluptueux, le seul que je voulais sentir. Puis tout à coup elle accéléra son mouvement et là, plus rien n'était réel, la folie me gagna à tel point que je n'étais plus que râles et spasmes. Elle me tuait de plaisir.

Je ne la vis que ce soir là, je ne lui dis presque rien, j'avais passé la soirée à l'observer. Mes amies ne s'en formalisaient pas, elles savaient toutes que j'aimais observer les nouvelles personnes que je rencontre, elles en avaient toutes été "victime". Je redemandais son nom avant qu'on se sépare, Helena, m'avait-on répété. On sortit toutes de ce bar, on marcha un moment, puis on stoppa pour se dire au revoir, le groupe allait se séparer en trois. On se fit toutes la bise puis elles partirent, je me retrouvais, comme j'étais venue, avec Delphine. Nous marchâmes un moment sans parler puis elle me demanda pourquoi j'avais l'air déçu.
- Elle s'appelait Helena, non ? Lui demandai-je encore.
- Oui, elle feignit l'exaspération. Elle te plait ?
- Non, lui répondit-je. Mais j'aurais aimé lui faire un baisemain.
- Pourquoi ça ? Me demanda-t-elle amusée.
- Parce que, sans qu'elle le sache, ni qu'elle ne fasse rien… Ses mains m'ont donné plus de plaisir qu'elle aurait pu m'en donner elle tout entière.
Delphine sourit, elle comprit soudainement pourquoi j'avais un si beau sourire pendant la soirée alors que je ne participais pas du tout à leurs conversations.