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[IV]
L'amoureuse

 

Qui d'autre faisait une telle chose encore de nos jours ? Les illuminés, ceux qu'on qualifiait de fous car ils osaient faire ce que plus personne ne faisait, les vieux. Oui, elle n'était pas banale, elle ne faisait pas les choses comme les autres. Quand elle arrivait chez elle, elle n'allumait pas la télé, quand elle sortait, c'était rarement avec un but précis, quand elle te regardait, elle n'avait pas de mauvaises pensées, puis elle souriait, toujours, elle souriait. Elle aimait la vie. Je crois que dans sa vie, on ne peut guère se vanter d'avoir rencontrer un jour quelqu'un qui aimait la vie, ceux qui le croient se leurraient sur la personne qu'ils avaient en face d'eux la plupart du temps, moi je pouvais le dire : je connais une fille qui est amoureuse de la vie ! Les gens faisaient de grands yeux quand je disais ça et finissaient par en rire, ça en devenait tellement impensable que ce que je disais ne pouvait être qu'une blague. Mais c'est vrai, je connais une fille qui était amoureuse de la vie.
Elle s'appelle Aurore et quand j'avais appris à la connaître et à connaître son amour pour la vie, j'avais trouvé que ses parents lui avaient donné le plus merveilleux des prénoms et elle s'en amusait, elle aimait son prénom car il était la plus belle partie de la journée.
Je visitai le quatrième appartement de la semaine avec elle, cela faisait le huitième depuis que nous avions commencé les recherches, des appartements petits mais beaux, elle n'était pas en manque d'argent et pouvait s'offrir presque tout ce qu'elle voulait, mais elle ne voulait rien, alors elle pouvait au moins s'offrire le luxe de visiter plein d'appartement et de ne choisir que celui qui lui conviendrait en tout point. Ses critères de sélections : s'y sentir bien et avoir une belle vue. Rien de plus, rien de moins. Toutes les autres choses matériels n'avaient pas d'importance, juste une fenêtre, une grande fenêtre avec une belle vue et son bonheur était fait. C'est là que toute sa différence éclatait. Quand on faisait visiter un appartement à quelqu'un on lui montrait toutes les pièces, on lui donnait les détails techniques sur le chauffage, les charges etc., mais elle, n'écoutait rien. Elle arrivait dans l'appartement, parcourait rapidement les pièces et s'arrêtait devant la plus grande fenêtre et là, elle contemplait la vue en ne disant plus rien. Je n'essayai même pas d'expliquer, d'ailleurs je ne voyais pas ce qu'il y avait à expliquer, elle choisissait son appartement en fonction de la vue que lui apportait la plus grande fenêtre, c'était beaucoup plus noble que de le choisir parce que c'était le moins cher ou parce que le voisinage était le meilleur, parce qu'il était près de son boulot ou parce qu'il était bien chauffé. Je ne m'amusai pas du silence qu'elle provoquait, je l'accompagnai, elle était belle, dans le plus vrai des sens de ce mot, elle était la beauté incarnée ; je l'admirais beaucoup.
Elle resta là, devant la fenêtre, au bout d'un moment le propriétaire décida de nous laisser seules, il devait sans doute se dire qu'il nous gênait. Mais il ne gênait pas, il n'était pas là. Au début j'avais pensé comme lui, puis un jour elle avait tendu sa main vers moi, sans même se retourner, je m'étais mise à côté d'elle et avais admiré la vue : elle, avec un sourire tendre, comme si elle avait devant les yeux un nouveau-né, comme si elle regardait son propre enfant. Aujourd'hui encore elle avait ce sourire et chaque fois qu'elle regardait par la fenêtre, je ne doutais pas que ce sourire fut présent. La vue n'était jamais très belle, nous étions en ville alors il y avait toujours des immeubles non-loin, des voitures tout près et peu de verdure. Quand la rue ne lui plaisait pas, elle regardait le ciel et aujourd'hui elle ne le regardait pas. Nous avions trouvé le bon, celui où elle irait tout les jours se poster devant cette fenêtre et regarder la vie à l'état pure, regarder les gens sans qu'ils n'en sachent rien. Espionner la vie.
Je prétextai d'aller visiter le reste de l'appartement pour m'éloigner et la regarder du bout de la pièce, elle posa sa main sur la vitre. Il ne faisait pas beau dehors, mais le ciel, gorgé de nuages, était d'un blanc presque éclatant, il formait autour d'elle comme un halo de lumière blanche qui m'éblouissait. Si j'avais su dessiner, je l'aurais reproduite aux pastels éclatants, si j'avais su comment prendre de belles photos, je l'aurais immortalisée dans les tons sépia, si j'avais su trouver les mots, je lui aurais écrit un poème. Mais je n'avais que mes yeux pour garder le souvenir de cette image, alors j'abusais de mes pupilles pour ne pas oublier la beauté qu'elle faisait naître autour d'elle.
Elle finit part posé son front sur la vitre et sa deuxième main, comme un enfant qui se presserait contre la vitrine d'une confiserie, de dehors elle devait être la plus belle des enfants et si j'avais travaillé dans cette confiserie, je l'aurais invité à l'intérieur et offert tout ce qu'elle aurait voulut ; on ne pouvait résister à une enfant aussi adorable.

Le propriétaire finit par revenir et je m'enquis avec lui de tout les détails techniques, ma belle détacha son front de la vitre et visita plus doucement avec nous, elle s'arrêta encore devant la fenêtre de ce qui serait sa futur chambre et fut conquise. Je l'obligeai à visiter d'autre appartement pour être bien sûre de son choix et pour me rassurer, mais elle opta finalement pour cet appartement là où elle était déjà tombée amoureuse de la vue. Trois semaines plus tard elle m'invitait à un pique-nique nocturne dans son nouvel appartement vide. Il était neuf heures du soir et elle rayonnait comme le soleil à son zénith, elle était heureuse, personne n'aurait pu en douter, mais personne n'était là, nous n'étions que nous deux. Elle m'appelait Papillon et disait que j'étais sa sœur jumelle à l'exception près que nous étions très différentes, mais nous arrivions à nous comprendre sans mots. Je disais que j'étais la jumelle méchante et elle, la gentille, elle était belle et épanouie, j'étais moins éclatante, toujours chiante et lesbienne de surcroît, et ça la faisait beaucoup rire, elle ne trouvait pas cela déplacé, elle savait que je ne me rabaissais pas, elle aimait ce contraste qu'il y avait entre nous. Elle était gentille avec tout le monde mais n'avait que peu d'amis, elle avait su s'entourer de personnes qui la comprenaient, qui n'abusaient pas de sa gentillesse et qui ne la trouvaient pas bizarre. Mais c'était moi qui était là ce soir avec elle. Elle avait inondé la pièce de bougie et au centre elle avait mis une grande nappe et beaucoup de coussins, elle avait préparé de petits plats que l'on mangeait avec les doigts, on riait, on parlait sérieusement, on était bien. Le reste se passa trop rapidement, elle se plaça derrière moi, pris ma masse de cheveux bruns et elle interrompit son explication pour une coiffure par un baiser sur mon cou. Je n'y avais jamais pensé, pas avec elle, je la trouvais magnifique, mais jamais je n'avais pu penser à une telle chose avec elle. Elle fit un autre baiser et ramena mes cheveux sur le côté, ses mains glissèrent sur moi, une sur mon bras, l'autre sur mon cou. J'avais connu de douces caresses, mais quand elles viennent d'une fille comme elle, on pense ne jamais retrouver cette douceur nul part. J'essayai tout de même de reprendre mes esprits pour comprendre ce qui se passait : «Aurore» avais-je murmuré et sans que je ne pus lui demander d'explications, elle me les donna.
- Tu es mon papillon de jour et moi, je suis un papillon de nuit et ce soir… je veux me brûler les ailes.

Ce fut un des moments les plus intimes de ma jeune vie, je ne le racontai à personne et elle fit de même. Nous n'avions pas décidé que ce moment devait à tout prix rester secret, mais c'était un moment à nous que nous n'avions nul besoin de partager avec d'autre. Nous nous en souvenions souvent ensemble, un seul regard suffisait à nous rappeler la douceur de cette nuit, puis souvent elle me prenait dans ses bras, cette nuit nous avait beaucoup rapproché et avait fait de notre amitié une relation ambiguë aux yeux de nos amis, nous nous en délections avec plaisir.
Il m'était arrivé une fois de redire qu'elle était la jumelle gentille mais avec cette différence que maintenant, elle n'était plus si hétéro que cela.
- Je le suis toujours, mais tu es la seule lumière qui ait réussit à me brûler les ailes. M'avait-elle répondu avant de se jeter dans mes bras comme un papillon de nuit sur une ampoule trop chaude.